Nouveau Testament

  • Alex T. CHEUNG, Idol Food in Corinth. Jewish Background and Pauline Legacy, (JSNTS 176), Sheffield : Academic Press, 1999. 24 cm. 364 p. ISBN 1-85075-904-9. £ 55/$ 85.

Cette étude historique et exégétique sur la question des viandes sacrifiées – les idolothytes – à Corinthe (1 Co 8-10) conteste l’opinion habituelle selon laquelle Paul considérerait la consommation de telles viandes comme un sujet indifférent et qu’il inviterait ses auditeurs à l’éviter uniquement par souci des faibles.

C. pense au contraire que Paul considère la consommation consciente de viandes sacrifiées comme une négation de l’allégeance au Christ et demande de l’éviter si, et seulement si, elles sont considérées comme telle.

Pour en arriver à ces conclusions, l’a. procède en quatre étapes. Dans le chap. 1, il s’intéresse à la signification sociale de la consommation de nourriture sacrifiée dans le monde gréco-romain. Ensuite – chap. 2 – il étudie l’arrière-plan juif de l’attitude de Paul (Torah, apocryphes et pseudépigraphes juifs, Qumrân, Philon, Josèphe, écrits rabbiniques, auteurs païens discutant les attitudes juives). L’exégèse d’1 Co 8-10 est proposée au chap. 3 : pas d’incohérence entre les chapitre 8 et 10. Les deux passages représentent deux étapes de l’argumentation paulinienne. Non seulement manger des viandes sacrifiées aux idoles provoque la chute des faibles, mais cela fait des Corinthiens des partenaires de la tables des démons. En effet, connaître l’origine de la nourriture (savoir si elle a été sacrifiée), c’est participer à l’idolâtrie. Il faut alors éviter d’en consommer ! Le chap. 4, consacré à une étude exhaustive de textes du christianisme primitif post-pauliniens, montre que les auteurs anciens ont été profondément influencés par la discussion de Paul en 1 Co 8-10 et qu’ils n’ont jamais considéré que l’attitude de Paul avait été caractérisée par l’indifférence sur ce problème.

En conclusion, l’a. s’essaie à quelques réflexions herméneutiques sur les implications contemporaines du problème des viandes sacrifiées (en particulier en distinguant les attitudes occidentale et orientale sur la question de l’existence des démons). L’ouvrage se termine par un excursus consacré à l’analyse de quelques travaux récents sur la question (Tomson, Gooch, Willis, Theissen, Witherington).

Nous avons récemment rendu compte de l’ouvrage d’A. Rakotoharintsifa, Conflits à Corinthe (trop récent, le livre est inconnu de C., ce qui est regrettable). Dans la lignée de Theissen, cet auteur proposait une analyse des conflits à Corinthe (ETR 1998/4, 618). Son analyse d’1 Co 8-10 n’est pas sans écho avec le présent travail. Peut-être plus exhaustif dans son approche des problèmes corinthiens (la question des viandes sacrifiées est analysée dans le cadre plus large des conflits à Corinthe) et plus ouvert à l’approche socio-historique, R. nous paraît aboutir à des résultats plus nuancés. Il n’en reste pas moins que le travail de C. constitue une contribution importante (en particulier à cause de son analyse des textes juifs et de la littérature chrétienne primitive) à l’exégèse d’un passage paulinien dont on ne cesse, ces dernières années, de ressentir toute l’actualité, en particulier dans certaines situations ecclésiales du Tiers-Monde (Madagascar, pays asiatiques).

Élian CUVILLIER

 

  • Simon LÉGASSE, Les épîtres de Paul aux Thessaloniciens, (LD Commentaires 7), Paris : Cerf, 1999. 22 cm. 448 p. ISBN 2-204-05991-9. FF 250.

Depuis le commentaire de Ch. Masson sur les épîtres aux Thessaloniciens (1957), aucun commentaire scientifique en langue française n’en avait été publié. On doit à L., l’exégète de Toulouse, de remédier à ce manque qui durait depuis plus de 40 années. Il propose, après ses récents commentaires de Marc (cf ETR 1998/4, 614) et du récit de la Passion (ETR 1995/1, 123, 1996/2, 284), un magistral ouvrage de près de 450 p. sur ces épîtres qui suscitent aujourd’hui, à bon droit, l’intérêt des chercheurs : 1 Th parce qu’elle est le plus ancien écrit du NT et atteste du tout premier stade du christianisme paulinien ; 2 Th, pseudépigraphe, témoignant de la façon dont a été géré l’héritage paulinien en matière d’eschatologie.

Après une dizaine de pages de bibliographie, débute le commentaire d’1 Th qui occupe les trois quarts de l’ouvrage. Près de 35 p. d’introduction où sont tour à tour abordées les questions classiques sur Thessalonique, la communauté chrétienne qui y réside, lieu et date de rédaction de l’épître (Corinthe, printemps/été 51), unité de la lettre (l’auteur s’oppose, avec raison, à l’hypothèse d’une compilation), circonstances de rédaction (calomnies de la société environnante et questions autour de la parousie), question de l’auteur et des coauteurs (Sylvain et Timothée, cf 1 Th 1/1). Vient ensuite le commentaire, toujours très précis et documenté. L’importance de la discussion avec la recherche, la rigueur de l’exégèse, les précisions philologiques (la discussion de la traduction de skeuos en 1 Th 4/4 est, à cet égard, exemplaire : après 5 p. d’analyse serrée, l’a. choisit, avec raison semble-t-il, de traduire « corps » et non « femme/épouse »), la mise en perspective historique et les renvois bibliographiques font de ce commentaire un véritable ouvrage scientifique digne de figurer aux côtés des travaux allemands.

Le commentaire de 2 Th est construit selon le même principe. Sont discutées en introduction les questions de l’authenticité (l’a. plaide pour le caractère pseudépigraphe de l’épître). Il s’agit d’un écrit de circonstance, rédigé vers la fin du Ier s. par un disciple inconnu de Paul dans le but de calmer l’éréthisme (c-à-d la tension, l’exaltation) eschatologique d’une communauté dont la localisation nous est inconnue. L’essentiel du commentaire réside évidemment dans l’analyse du chap. 2 et de son fameux scénario apocalyptique déployant les figures de « l’impie » et de « celui qui le retient » (cf 2 Th 2/3-4 et 7-8). L. est convaincant lorsqu’il montre, au fil d’une exégèse serrée, que la mise en place de ces topoi classiques de l’apocalyptique juive sont, de la part de l’a. de 2 Th, une stratégie rhétorique qui vise à poser des délais suffisamment éloignés à la parousie. Ainsi le lecteur aura intérêt à ne pas chercher à identifier ses figures, les laissant ainsi « dans le vague, étant suffisamment assuré de rejoindre ainsi l’auteur sur son propre terrain » (398 s).

Qu’il suffise de dire, en terminant, que nous disposons désormais, avec ce travail, du commentaire de référence sur les épîtres aux Thessaloniciens.

Élian CUVILLIER

 

  • Jonathan KNIGHT, Revelation, (Readings : A New Biblical Commentary), Sheffield : Academic Press, 1999. 24 cm. 183 p. ISBN 1-85075-967-7.

Les études sur l’Apocalypse de Jean sont, semble-t-il, dans une phase de renouveau, en particulier en ce qui concerne l’appréhension du contexte historique au sein duquel a écrit le visionnaire de Patmos. Ce petit commentaire, excellemment conçu, atteste de cette évolution. Se fondant sur des travaux historiques récents, il montre que le contexte historique de la fin du Ier s., sous le règne de Domitien (période à laquelle on situe habituellement l’écriture de l’Ap) n’est pas caractérisé par la persécution (les références aux martyrs sont d’ailleurs, dans l’Ap, plus symboliques qu’historiques). Ce simple résultat historique (évidemment toujours discutable) a des conséquences majeures pour l’interprétation d’un livre dont on a toujours dit qu’il était écrit pour une communauté persécutée. En fait, la lecture de l’Ap en est assez radicalement réorientée : Jean de Patmos s’adresse à des communautés qui ne subissent pas la persécution mais la séduction de l’Empire. Il s’élève contre la tentation de concéder à l’ordre économique et politique impérial, dit autrement il les invite à ne pas « manger des viandes sacrifiées aux idoles » (cf Ap 2/20).

La question qui demeure reste celle de savoir si Jean est en rupture avec l’attitude de Paul, une génération auparavant. En effet, ce dernier semble plus tolérant que l’apocalypticien (cf la question des viandes sacrifiées à Corinthe). Sur ce point, la distance historique qui sépare l’un et l’autre invite à beaucoup de prudence. Peut-être est-ce avec le christianisme paulinien qu’une tension existe (celui représenté par les Pastorales écrites à la même période et dans le même espace géographique). Quoi qu’il en soit, le problème réside bien dans le défi posé aux jeunes communautés chrétiennes tiraillées entre risques d’assimilation ou de sectarisation. Un problème toujours actuel ! L’univers symbolique et le langage symbolique de l’Apocalypse invitent les chrétiens asiates à porter un autre regard sur la réalité qui les entoure et à proclamer que, contre toute apparence, la logique impériale n’est pas le dernier mot posé sur la réalité.

On saura gré à K. de soulever tous ces problèmes, et d’autres encore, en un petit commentaire très bien informé et toujours facile à lire.

Élian CUVILLIER

 

  • Thomas B. SLATER, Christ and Community. A Socio-Historical Study of the Christology of Revelation, (JSNTS 178), Sheffield : Academic Press, 1999. 24 cm. 281 p. ISBN 1-85075-939-1. £ 46/$ 75.

Utilisant à la fois la critique historique et des éléments de sociologie de la connaissance, l’ouvrage propose une étude des trois principales figures christologiques de l’Apocalypse et de leur signification pour les auditeurs historiques de Jean de Patmos.

Après l’introduction qui présente le thème et la méthode choisie (chap. 1), la 1re partie de l’ouvrage est consacrée à l’étude de la figure du « fils d’homme ». Suite à l’étude de l’arrière-plan juif de l’expression (Ez, Dn et surtout 1 Hén et 4 Esd), sont successivement analysées la présentation du messie en Ap 1 et la figure du fils de l’homme en Ap 2-3 et 14/14-16. La christologie de ces passages dépeint le Christ comme le Seigneur de l’univers qui se soucie de sa communauté vivant dans un monde hostile.

La 2de partie est consacrée à l’étude des figures de l' »agneau » et du Christ comme combattant divin en Ap 19/11-21. La conclusion de l’ensemble de l’étude montre que les images christologiques employées cherchent à maintenir l’unité entre Christ et sa communauté : Christ rassemble une communauté élue de prêtres et de rois en route vers la Nouvelle Jérusalem. Les motifs de la victoire à travers la souffrance sont un moyen d’encourager la communauté dans son présent difficile afin de lui éviter le risque de la trahison.

L’enquête fait ressortir deux traits saillants du contexte historique : d’un côté, au sein des communautés chrétiennes d’Asie Mineure, un certain laxisme religieux dont on perçoit des traces en arrière-plan des lettres aux Églises (Ap 2-3). Ce laxisme reflète les tentatives de certains chrétiens de s’assimiler et de supporter ainsi les pressions de la société ambiante. D’un autre côté, Ap 4-19 reflète le statut social très modeste des chrétiens dans les villes d’Asie Mineure, confrontés à une société hostile. Comme tel, l’Ap encourage ces chrétiens à une fidélité qui peut aller à une désobéissance civile passive avec tous les risques que cela encourt.

Un travail intéressant, équilibré dans ses conclusions et qui est d’une grande utilité pour comprendre le contexte de communication de l’Apocalypse. L’a., au courant des hypothèses récentes sur le Sitz im Leben de l’Ap, ne rejoint pas tout à fait les hypothèse plus radicales selon lesquelles il n’y aurait pas de persécution au Ier s. (cf Knight). Pourtant, il n’est pas sûr que cette approche soit en totale contradiction avec la lecture plus nuancée que propose S. Il n’est pas exclu que les autorités locales aient fait la différence entre deux tendances à l’intérieur des communautés chrétiennes d’Asie Mineure : l’une prônant l’assimilation, l’autre la refusant tout net. La question plus décisive est la suivante : Jean de Patmos appartenait-il à une tendance radicale (prônant un refus absolu de tout compromis) ou cherchait-il à faire apparaître le monde romain et sa réalité sous un autre visage au regard d’auditeurs largement tentés de s’accommoder à l’ordre des choses ? Dans cette seconde hypothèse, l’utilisation du langage liturgique comme nouveau regard (critique) sur le monde donne une dimension nouvelle au type de « résistance » proposé par le visionnaire.

Élian CUVILLIER