La conversion de Paul et celle Nasir Khusraw. Un rencontre au musée imaginaire de l’histoire

Quand on s’intéresse à Nasir Khusraw, on découvre chez Paul bien des choses qu’on n’aurait pas vues sans cela. Tous deux ont en commun d’avoir vécu une conversion, d’avoir adhéré à un courant minoritaire dans leur religion, d’en être devenus le missionnaire, d’avoir subi des persécutions, d’avoir prolongé leur activité missionnaire par une activité littéraire et d’avoir développé une exégèse non littérale de la Bible ou du Coran. Chacun de ces points mérite de faire l’objet d’une comparaison. La présente étude se concentre sur la conversion. Nasir Khusraw rapporte des expériences extraordinaires uniques, en particulier une vision onirique, tandis que les deux récits de sa conversion laissent voir une phase assez longue de recherche d’orientation, qui est en relation avec un voyage d’une certaine durée vers Le Caire et La Mecque, mais qui doit déjà avoir débuté avant. Nous nous trouvons chez lui en présence d’une conversion par étapes. Chez Paul au contraire, l’expérience du chemin de Damas passe pour l’exemple type d’une conversion ponctuelle soudaine. Sensibilisés par les recherches menées sur les formes de conversion en psychologie de la religion et par des analogies avec la conversion de Nasir Khusraw, nous découvrons chez Paul les indices d’une phase prolongée de réorientation qui est liée, comme dans le cas de Nasir Khusraw, à un voyage vers le lieu central de sa religion. Cela a commencé par une pratique plus intense de son judaïsme traditionnel, avec l’adhésion au pharisaïsme et l’étude de la Loi, qui s’est poursuivi et accentué jusqu’au « zèle » et qui a trouvé son aboutissement avec la conversion au christianisme. Chez Paul aussi, il pourrait s’agir d’une conversion par étapes, mais qui ne suit pas un développement linéaire. Les récits qu’il fait de sa conversion sont des textes performatifs : ils mettent l’accent sur des événements uniques afin de promouvoir l’adhésion aux valeurs de la nouvelle communauté et l’abandon des valeurs anciennes. Il n’y a pas lieu de mettre en doute l’authenticité de l’expérience vécue par Paul lors de ces moments ponctuels décisifs, mais il est douteux que leur caractère ponctuel permette de les isoler du contexte global de sa vie. Sur le chemin de Damas, c’est probablement une crise de réorientation d’une certaine durée qui a atteint son sommet et trouvé son achèvement. Il est indéniable que la fascination de Nasir Khusraw pour les souverains fatimides et la conversion de Paul au Messie crucifié présentent aussi des différences et des oppositions. Aussi bien par leurs ressemblances que par leurs différences évidentes, une rencontre de ces deux figures dans le musée imaginaire de l’histoire est éclairante.

(Traduction d’Anne-Lise Fink, revue par Jean-Daniel Kaestli)

Knowledge of Nasir Khusrav allows one to discover in Paul many things that would otherwise pass unnoticed. Both have experienced a conversion. Both belonged to a minority in their own religion. Both have become missionaries. Both endured persecution. Both have added to their missionary activity a literary activity. And both have produced a non literal exegesis, of the Bible for one and of the Koran for the other. Each of these points would deserve a comparative study. However, the present essay focuses on the issue of conversion. Nasir Khusrav reports unique and extraordinary experiences, a vision in particular. Yet the two stories of his conversion suggest a lengthy quest for orientation in relation to his journey to Cairo and Mecca, although it must have started before. We might describe this as a gradual conversion. Il contrast, Paul’s experience on the road to Damascus has been commonly pictured as the perfect illustration of a sudden conversion. Beside various studies in psychology of religion dedecated to the forms of conversion, some analogies with Nasir Khusraw’s conversion draw our attention to aspects of Paul’s story which hint at a fairly long period of reorientation related -as in the case of Nasir Khusraw- to a journey to the centre of his religion. It started with a more intense practice of traditional Judaism, with commitment to pharisaic thought and with the study of Law. This has been carried on and increased into  »zeal » and has found its fulfilment in Paul’s conversion to Christianity. We might speak of a gradual conversion for Paul too, although it does not follow a linear progression. The stories he tells about his conversion are performative texts. They emphasise unique events in order to promote allegiance to the values of the new community and abandonment of the old values. We have no reason to question the authenticity of Paul’s experience of the suddenness of his conversion, but it is doubtful that this experience can be isolated from the entire context of his life. The event on the road to Damascus could be seen as the culmination and resolution of a crisis of reorientation which had probably been going on for some time. To be sure, Nasir Khusraw’s fascination for the Fatimid rulers and Paul’s conversion to the crucified Messiah also display differences and oppositions. It can then be illuminating to make these two figures meet in the imaginay museum of history.

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p. 507-527

Auteur

THEISSEN Gerd
Gerd THEISSEN est professeur émérite en théologie néotestamentaire à l’université de Heidelberg.