Franchir les frontières de façon paradoxale. Propositions pour une psychologie religieuse du christianisme primitif

La psychologie du christianisme primitif qui est ici ébauchée se caractérise principalement par l’élaboration du concept de transgression des limites dans les domaines du mythe, de l’éthos et du rite. Le « mythe » christologique transgresse la limite entre Dieu et l’homme. Selon l’approche cognitive de la psychologie de la religion, l’idée d’incarnation est une idée « contrintuitive ». L’éthos du renoncement à la violence et de l’amour des ennemis est, dans le langage de la psychologie, une « intervention paradoxale », c’est-à-dire une rupture avec les lois habituelles de l’apprentissage: un comportement négatif et non désiré est renforcé positivement afin d’être surmonté. Les sacrements mettent en scène une symbolique de la rupture des tabous qui, dans le cas de l’eucharistie, a été mise en évidence très tôt par la psychanalyse. Ce qui a été cependant décisif pour la capacité du christianisme des origines à s’imposer dans la durée, c’est qu’il a non seulement introduit une rupture avec la réalité quotidienne, mais qu’il a aussi donné une légitimation à cette réalité. Nous trouvons à côté du mythe contrintuitif des sentences de sagesse lumineuses, à côté des commandements radicaux la règle d’or, à côté des ruptures de tabous symboliques le devoir du partage. Les éléments religieux « extrêmes », de transgression des limites, sont étroitement liés aux éléments « modérés ». Le dépassement de l’ontologie quotidienne donne un fondement à l’ordre du quotidien. Les aspects extrêmes de la religion chrétienne des origines ne visent pas seulement à attirer l’attention sur elle: ils fondent aussi la religion sur la transcendance.

(Traduction d’Anne-Lise Fink, revue par Jean-Daniel Kaestli)

The psychology of early Christianity which is here outlined is mainly characterized by the developing of the concept of transgression of limits in the areas of myth, ethos and rite. The Christological « myth » transgresses the limits between God and human beings. According to the cognitive approach in psychology of religion this is « counterintuitive representation ».
The ethos of renouncing violence and loving one’s enemies is in psychological terms a « paradoxical intervention », i.e., an infringement of the usual rules of learning: undesired and negative behaviour is positively strengthened in order to be overcome. The sacraments represent a taboo-transgressing symbolism, chich psychoanalysis reveals very early in the case of the Lord’s Supper. For a durable ability of early Christian religion to assert itself, it mattered that it was both disruptive and foundational to the world of daily life. Beside the counterintuitive myth intuitively illuminating wisdoms can be found, beside the radical commandments the Golden Rule and beside symbolic taboo transgression the duty of sharing. The « religiously extreme » elements of transgression of limits are tightly intermingled with the « moderate » elements. Breaking up the ontology of daily life is the foundation of the order of daily life. Extreme aspects of early Christian religion are not only intended to call attention to them but they ground religion in transcendence.

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p. 481-505

Auteur

THEISSEN Gerd
Gerd THEISSEN est professeur émérite en théologie néotestamentaire à l’université de Heidelberg.